« Métamorphoses » Emmanuelle Coccia

Catégorie : philosophie, Références
Par Joanna Lorho, 23 septembre 2020
Emmanuelle Coccia Métamorphoses. Rivage, 192p. Mars 2020

N’est pas nouvelle l’intuition de l’unité dynamique de tous les vivants, et même de la matière, qui donne son élan si particulier à cet essai du philosophe italien Emanuele Coccia. Ce panthéisme poétique apparaît déjà dans le fabuleux livre XV des Métamorphoses d’Ovide – « Tout coule, toute forme [imago] est errante [vagans] et mouvante » (v. 178) – mais il est ici enrichi de références scientifiques contemporaines à la botanique, à la biologie, à la cosmologie, et animé par de vigoureuses polémiques (sur l’écologie, par exemple). Il conduit cette « métaphysique de la métamorphose » à d’assez étranges spéculations sur la planète Gaïa, le ciel, les constellations. Emanuele Coccia surprend et fait rêver sur la naissance et la mort. C’est beaucoup.

extrait du site « En attendant Nadeau », Jean Lacoste Juin 2020
Ecouter Emmanuelle Coccia sur France Culture (Les chemins de la philosophie)


Extraits

Tout dans la nature comme dans notre existence est artificiel et arbitraire. Une artificialité due à l’action des différentes espèces. L’histoire de la Terre est une histoire de l’art, expérience artistique éternelle. Dans ce contexte, chaque espèce est à la fois une oeuvre d’art et une performance des espèces dont elle représente l’évolution, mais aussi l’objet d’une exposition dont les espèces qui l’ont fait émerger sont les conservateurs.

L’évolution et la sélection naturelle sont totalement révolutionnées. Poissons, plantes, poulets, bactéries, virus, champignons et chevaux : qu’ils soient grands ou extrêmement petits, quel que soit le royaume auquel ils appartiennent, tous les êtres vivants sont des esprits, et pas seulement pour eux-mêmes (pendants, sensibles, capables de décisions), mais l’esprit des autres espèces. Tous les êtres vivants sont capables non seulement de changer consciemment leur environnement et celui d’autres espèces, de forger des relations arbitraires interspécifiques, qui ne sont pas nécessairement orientées vers une quelconque utilité, mais aussi de changer le destin d’autres espèces. Le monde, s’il est observé de ce point de vue, devient le résultat toujours changeant de cette intelligence et de cette sensibilité universelles et cosmiques des formes infinies de vie. Inversement, ce mental cosmique est produit par des formes infinies de rencontres et de décisions arbitraires et rationnelles, prises par différentes espèces à différents moments, suivant les intentions les plus étranges. L’esprit, c’est à dire l’évolution interspécifique, est la vie de la métamorphoses du monde.

p.203, 204

En se prétendant contemporain, c’est à dire en rpétendant incarner une forme de temps et non une forme d’espace ou de matière, l’art est devenu une pratique collective de la divination du futur. À partir de ce moment, à travers l’art, chaque société construit quelque chose qui n’existe pas encore en elle : ce n’est plus un reflet harmonieux de sa propre nature, mais une tentative de se reproduire différemment de ce qu’elle est, une manière d’être différent et de connaître cette différence qui n’existe pas encore. L’art est le désir et le projet de métamorphoses d’une société.

p. 205