La chaîne de causalité

" Il faut, dans les moeurs (comprenez le caractère) comme dans la constitution des faits (comprenez la structure), toujours rechercher ou le nécessaire, ou la vraisemblance, de manière que tel personnage parle ou agisse conformément à la nécessité ou à la vraisemblance, et qu’il y ait nécessité ou vraisemblance dans la succession des événements. "

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Pourquoi une telle insistance dans l’association de ces 2 termes, vraisemblable et nécessaire ? Parce que si la dramaturgie est activité, elle est aussi enchaînement de causes et d’effets. Le vraisemblable produit la raison pour laquelle telle chose advient. Il est du côté de la préparation, du côté des causes.
Le nécessaire, symétriquement, produit les conséquences de ce qui advient. Il est du côté des effets, de l’exploitation dramatique.

Objectif

La structure dramatique s’occupe d’organiser l’ensemble des événements de l’histoire auxquels vont être confrontés les personnages dans leur trajectoire. Dans la dramaturgie concentrée qui nous occupe encore, la sacro-sainte causalité en est le ciment : un événement sera d’autant plus dramaturgique qu’il est relié par "de la cause" à ce qui précède et par "de l’effet" à ce qui suit et cela depuis le début de l’histoire (la "cause qui n’est l’effet d’aucune cause") ; et jusqu’à la fin de l’histoire, ("effet qui n’est la cause d’aucun effet nouveau").
Cet outil (la chaîne des causes et des effets) est puissant : il produit de la cohésion, de la relation entre les choses, entre le monde et le protagoniste, entre le protagoniste et les personnages qu’il côtoie, permettant de composer un édifice complet, unitaire, articulé, l’Histoire une et indivise.
Son inconvénient majeur est la possible prévisibilité du train-train des causes et des effets qui se suivent du début à la fin comme des perles sur un fil. Plusieurs outils supplémentaires viennent, de ce fait, le compléter pour faire pièce à sa linéarité. Notamment :
1. Une série de ruptures dramatiques qui fera varier la fonction des causes et des effets selon le moment où l’on se trouve : l’exposition a une "couleur causale" particulière (équilibrée, prévisible, stable, douce), le développement une autre (faite de surprises et d’exploitations en constante transformation), la résolution une troisième (faite de points finaux, de leçons tirées, de consolation ou d’irréconciliation définitive) ;
2. La progression dramatique, qui introduira une hiérarchie et une intensification de la causalité sur le protagoniste au cours du développement. La cause est ici vecteur d’obstacles, déclencheurs de conflits ;
3. Une exploitation multiple, diffractée et (possiblement) oblique d’une cause qui pourra produire des effets inattendus dans le cours des choses, élargir le spectre des interactions.

L’exercice d’aujourd’hui utilise ce dernier outil.

Contraintes

L’exercice se déroule en 2 temps :
1. Créer une chaîne de causalité linéaire en assemblant entre elles, sous la forme d’un accordéon de papier, 12 images distribuées et cela en commençant par la fin de l’histoire. En remontant la chaîne des causes, on produira de la préparation, du vraisemblable.
Exemple : Image 1 - Annie est allongée, ivre morte, le long de la voie ferrée ;
Image 2 Parce que Jean-Philippe l’a virée de son boulot de conducteur de bus, Annie se saoule en dansant sur de la techno assez mièvre au café : "Chez Maria" ;
Image 3 Parce que le prix du diesel triple en une semaine, Dominique vire la plus jeune de ses employées ;
etc. jusqu’à la 12ème image, qui constituera, de facto, le début de l’histoire. Cette première partie remonte donc la chaîne des causes et produit donc une linéarité vraisemblable.

2. Sur cet accordéon causal linéaire, ajouter des images de votre Boîte à images (si vous l’avez) ou de la série d’images distribuée en classe. Elles devront être reliées à la première chaîne de causalité comme autant de conséquences secondaires, imprévues, "hors sujet", "hors trajectoire", pour produire un effet de "nuage narratif", de champ ou de spectre plus imprévisible, plus instable, que ce qu’offre le modèle linéaire tout en s’y enracinant rationnellement. En prolongeant la série des effets, on travaillera sur l’exploitation, le nécessaire.
Le nombre des images ajoutées est libre. Plus il y en aura, plus le récit sera riche, ouvert, débridé. Ce seront les " inattendus " du récit.

Exemple : Image 1 - Annie est allongée, complètement saoule le long de la voie ferrée. Conséquence inattendue : Le présentateur de Télé Bruxelles, bloqué dans l’embouteillage provoqué par l’ambulance dépéchée sur les lieux n’arrive pas à l’heure pour son émission quotidienne sur le blues traditionnel. Le programme est remplacé par une bande ininterrompue de musique soul.

Image 2 Parce que Jean-Philippe l’a virée de son boulot de conducteur de bus, Annie se saoule en dansant sur de la techno assez mièvre au café : "Chez Maria". Conséquence inattendue : Jean-Claude, grutier de chantier, ne supporte pas l’ambiance techno qui règne ce soir au bar "Chez Maria". Il mange son sandwich dans sa voiture et, bouleversé par une chanson soul qui passe à la radio, se rend chez sa maman pour lui dire qu’il l’aime.

Remarquez que dans ces 2 exemples :
 Les conséquences inattendues (le présentateur en retard, et le grutier aimant sa maman) sont reliées elles-même entre elles, le retard de l’un provoquant l’écoute de la musique soul par l’autre. Cette liaison "supplémentaire" n’est pas nécessaire. Les conséquences inattendues peuvent donc rester sans rapport les unes avec les autres, mais doivent toujours être déclenchées par le récit principal.
 Les conséquences inattendues doivent être développées sur 2 temps (pour le pas passer trop inaperçues ou faire un simple effet de "bruit de fond négligeable") : le présentateur est bloqué dans l’embouteillage (conséquence directe du récit principal) ; c’est la cause du changement de programme radio (conséquence seconde).

Matériel à réunir par les étudiants

 Votre boîte à image
 Papier collant, ciseaux, etc.

Matériau fourni par l’atelier

 Une série imposée d’images anciennes.

Matériau produit

 Une histoire complète sous forme de ligne du temps imagée.

Durée de l’exercice

 1 séance. Travail seul ou par deux.