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Lexique

Des mots, des concepts, explicités.

Adjuvant

" Celui qui aide ". Il permettra au Sujet de poursuivre sa recherche d’objet.
Il est intéressant d’observer les interactions entre Adjuvant et Sujet :
- L’excès d’adjuvant, par évidence, diminue la puissance du Sujet, en remettant, de ce fait, en cause sa capacité à structurer autour de lui l’ensemble de l’histoire.
- Le défaut d’adjuvant, en revanche, transforme le Sujet en superhéros, forçant l’histoire à une surenchère d’opposition pour lui résister. Ca fait un type de récit très particulier dont les débutants dramaturges, incapables de créer de la relation de façon subtile, raffolent en général, parce que ça pète dans tous les sens.
Deux figures fondamentales et intéressantes de l’usage de l’adjuvant sont :
- la trahison, au cours de laquelle l’adjuvant devient un opposant (Judas)
- la conversion, qui est son symétrique, au cours de laquelle un opposant deviendra adjuvant (St Paul sur la route de Damas).

Caractère

Il est le " signe majuscule " du personnage, source vive de son activité, principe de son individuation au cœur de la dramaturgie. Le définir et l’enrichir est une garantie implacable de la consistance du personnage.

Caractère dominant

Dans la constitution du personnage, c’est lui qui s’exprime principalement, que vous mettrez en avant dans ses modes d’expression.

Caractère récessif

Cette expression provient de la génétique. Il désigne un aspect du gène qui reste à l’état latent, second, caché, jusqu’à ce que certaines conditions lui permettent de s’exprimer. Nous l’utilisons dans un sens métaphorique, pour désigner le caractère secondaire d’un personnage double.

Caractérisation

La caractérisation est l’ensemble des méthodes employées dans une narration pour nous communiquer le caractère, moteur interne donc invisible du personnage : le caractère n’est pas visible en soi, mais apparait à travers la caractérisation.
Si la caractérisation est un tout, voici quelques catégories de signes que la mise en récit peut produire.

L’action directe
Le personnage agit, par la parole et le geste. Parfois, ce qu’il ne fait pas est aussi signifiant, évidemment.

La posture
Le maintien, le ton de la voix, l’apparence physique et les gestes faibles du personnage sont des moyens de communiquer non verbalement le caractère. Sourire entendu, tics, gestes retenus, vitesse de la marche et surtout l’association d’un ensemble de signes faibles en disent long. L’habillement aussi fait partie de la posture, à cheval avec la catégorie suivante, celle des attributs.

L’environnement du protagoniste et ses attributs
Les objets au sens large et leur disposition par le protagoniste participent passivement de sa caractérisation. De nouveau, la séparation entre l’habillement, par exemple, et le reste de l’environnement d’un personnage est arbitraire. Voiture, maison, habits, lieux de sociabilité sont cependant affectés par les choix et usages de celui-ci.

Les rétroactions
La manière dont d’autres personnages qualifient et agissent avec le personnage donne des indications fortes sur son caractère. Parents, compagnons, collègues, animaux et même objets (un signe d’usure, un objet cassé) sont autant de signes de la contamination du caractère sur son environnement.

Déterminisme sociologique
Ce que l’habitus au sens Bourdieusien détermine du caractère. On entre ici dans des considérations sociologiques : on aura des intuitions différentes de l’intériorité d’un bourgeois du 17e siècle et de celle d’un bourgeois du 21e. Si un contexte identifiable est donné, notre interprétation se construira en absence même de signes.

La caractérisation peut être fine ou grossière, et comme le dit John Truby : "Si l’on ne pourvoit pas l’archétype de détails, il se transforme en stéréotype"

Caractéristique

Ce par quoi le caractère s’exprime. La caractéristique appartient au comportement du personnage. Il est intéressant de chercher à en produire de spécifique pour donner une consistance individuelle forte au personnage.

Causalité

Ce qui produit des effets. Ce que l’on peut rendre " responsable " de ceux-ci. La causalité est donc supposée au départ de " ce qui arrive ". Sans causalité, pas d’histoire, qui n’est que la succession des faits reliés entre eux par la causalité, précisément. Et sans histoire, pas de narration, qui en est le " rapport ".

Chute

La chute est le mode raccourci de la résolution. Elle résout, en général, sur le mode du coup de théâtre, une situation. Elle est donc une forme de révélation finale qui ne s’embarrasse pas d’un état des lieux, ne mesure pas tel ou tel écart entre une situation initiale d’exposition, et une situation finale de résolution. Elle a l’avantage de cette concision mais est très souvent déceptive, précisément par sa faible portée dramatique, réduisant souvent l’histoire à une variante de devinette, ou de gag.

Pour ces raisons, la chute est le mode d’action privilégié des formats de récits courts. En bande dessinée, elle est le mode incontournable du strip (modèle de bd de 3 à 5 cases généralement) ou de la "bd en une planche". Utilisée pour des formats plus longs, elle démontre un manque d’envergure du récit.

Pour pester contre cette recette, on se souviendra du texte de Moebius, en octobre 1975, dans l’édito du quatrième numéro de Métal Hurlant, reproduit ici in extenso :


Je vais vous dire pourquoi je fais des bandes dessinées sans scénario.
Je vais vous raconter par le menu les affres de la création.
Je vais vous dire une bonne chose. Je vais déballer, pire avouer.

En fait c’est très simple : d’une part, il y a tous ces raconteurs d’histoires. à chute, à exploits, à messages, à morale, a gags.
1/ A chute : C’est facile. Il faut contredire en une image tout ce qui a précédé. Le problème vient de la qualité de la contradiction. Plus la contradiction de départ est puissante, plus la pirouette sera goûté. On voit à quel point ce procédé est clair. Combien également il est artificiel.
2/ A exploits : Donner une gamme de pouvoir à un type ou groupe et le mettre en présence d’un autre type ou groupe ou élément dont les gammes de pouvoirs sont légèrement supérieures en apparence… L’astuce consiste à donner le gain au plus faible. Le choix de l’astuce sera le message politique-moral de l’auteur.
3/ A message : Il y a toujours message, mais l’auteur peut estimer que la qualité du sien est telle qu’elle doit prendre valeur de squelette, et même parfois de muscles, de nerf et de sang. C’est parfois vrai, mais surtout pour les minorités culturelles.
4/ A morale : On retrouve les mêmes structures que l’histoire à chute, mais pas spécialement dans la contradiction, bien que le procédé soit courant.
5/ A gags : Chaque phrase reconstitue et compresse les quatre précédents exemples avec des dosages variés.

Puisque le message politique est implicite, pourquoi le solliciter ? Pourquoi attendre la fin pour se contredire ? Pourquoi avoir peur d’être seul dans le noir et crier au secours ? Pourquoi être si anxieux d’avoir raison ?

Il n’y a aucune raison pour qu’une histoire soit comme une maison avec une porte pour entrer, des fenêtres pour regarder les arbres et une cheminée pour regarder la fumée… On peut très bien imaginer une histoire en forme d’éléphant, de champ de blé, ou de flamme d’allumette soufrée

Moëbius.

Cliché

Voir stéréotype.

Coda

Emprunté au langage musicologique, nous utiliserons la coda pour désigner les séquences finales qui cloturent une histoire après sa résolution. La coda est donc externe à la structure dramatique proprement dite qui début à l’ouverture et se termine à l’état des lieux de la résolution. Elle est presque toujours inutile dramatiquement, moment explicatif pour les crétins qui n’auraient pas compris le fin mot de l’histoire, ou moralisateur à l’attention des jeunes filles en fleur.

Complexité

En dramaturgie, nous n’utilisons ce terme que dans le sens de l’ambivalence. Un personnage sera complexe à partir du moment o๠il perd sa transparence, sa visibilité, sa linéarité. Attention, la complexité du personnage ne peut apparaître en dramaturgie qu’à la faveur d’un événement qui la produit : la crise.

L’archétype de la crise qui produit la complexité : le dilemme tragique.

Une situation sera dite complexe quand les relations entre les personnages sont ambivalentes, le plus souvent dans le rapport du Sujet à l’Adjuvant. Si cette relation n’est pas claire, qu’une menace ou un doute plâne sur le rôle de l’adjuvant, la complexité apparaîtra.

Comportemental

En dramaturgie, est considéré comme comportemental, tout ce qui peut être capté par le regard mort du micro (ou son dérivé dessiné : le phylactère, le commentaire) et de la caméra (ou son dérivé dessiné : la case, la page, la séquence), les outils neutres de la production d’une image ou d’un son. Comportemental s’oppose à la fois à littéraire, qui fonctionne sans cesses en métaphores et en synthèses et à psychologique, qui exprime directement l’intériorité d’un personnage, d’une scène.

Concentré

Nous employerons ce terme pour qualifier les usages dramaturgiques manifestes, fortement marqués, très identifiables. Nous parlerons d’une dramaturgie concentrée, d’un personnage concentré, d’une structure concentrée, quand ils sont exploités de façon très articulée. Tout proche, tout tout proche de la concentration, se trouve le cliché, l’une étant comme la manifeste réussite de ce que l’autre se prétend souvent être par manque de subtilité.
Concentré est le symétrique de diffus. Nous empruntons cette symétrie à Guy Debord qui l’a inventée dans un tout autre contexte ...

Conversion

Une des plus grandes figures dramaturgique qui soit. Elle fait passer un actant du pôle opposant au pôle adjuvant. En général, elle est très riche en résolutions de conflits chez le Sujet, et peut provoquer une bonne complexité chez l’actant qui vit la conversion. Souvenons-nous de St-Paul sur la route de Damas.
Elle est le symétrique parfait de la figure de la trahison.

Défaut d’exploitation

Se dit d’une information, élément de caractérisation ou scène frappant le lecteur et lui faisant croire à un noeud dramatique, mais qui ne donne lieu à aucune exploitation dramatique. Outre le fait qu’il produit une frustration, une désapprobation, et parfois à la remémoration du récit du dépit, il peut décrédibiliser l’ensemble du récit et faire sortir le lecteur de la fameuse willing suspension of disbelief. Parfois délibéré, c’est souvent un défaut d’écriture.

Destinataire

Dans un schéma actantiel, c’est le pôle de celui à qui est destiné l’objet, et qui donne une finalité à la quête. Il s’agit d’un pôle, qui peut peut contenir plusieurs actants, dans lequel on peut retrouver le protagoniste principal lui-même, mais un destinataire distinct, identifiable et qui valide la quête en fin de récit est la promesse d’un paiement réussi.

Destinateur

Dans le schéma actantiel, il est celui qui met en rapport Sujet et Objet, le commanditaire de la quête, en somme. Il peut revenir pendant la résolution confirmer l’obtention de l’objet, associé au(x) destinataire(s), ou être évoqué.

Deus ex machina

Elle est surtout employée dans le vocabulaire théâtral au sujet d’une personne qui arrive, d’une façon impromptue, à la fin de la pièce et par qui le dénouement s’effectue. L’expression existait déjà dans le théâtre grec ("apo mekhanes theos"), pour désigner un mécanisme servant à faire entrer en scène une ou des divinités pour résoudre une situation désespérée. L’expression peut être étendue à toute résolution d’histoire qui ne suit pas la logique interne de l’histoire mais permet au dramaturge de conclure sa pièce de la manière qu’il désire. Elle peut, cependant, désigner au sens propre la simple représentation sur scène d’une divinité.

Dans le langage courant, l’expression s’applique aussi à un élément qui arrive par surprise et qui résout un problème bloqué jusque là . On peut donc dire d’une personne qu’elle est le deus ex machina si elle vient arranger un problème au dernier moment.

En murder party, ou soirée enquête, ce terme réfère souvent à un abus du scénario ou de l’organisateur pour déclencher une action qui n’aurait pas pu avoir lieu du seul jeu de rôle des joueurs.

Développement dramatique

Le 2ème des 3 temps de la dialectique de l’équilibre et du déséquilibre dramatique, le développement est le moment de l’histoire au cours duquel les ingrédients (personnages, relations, scène dramatique) mis en place dans l’exposition jouent leur rôle dramatique, sont exploités dramatiquement : des objectifs sont posés, des obstacles et des conflits sont produits. Le développement, dans cette perspective, est le moment du déséquilibre, de la confrontation.
Il exploite l’exposition et débouche sur la résolution qui, classiquement, signale un retour à l’équilibre.

Attention, le développement est donc à la fois une partie générale de la structure, qui constitue, en général, le corps de l’histoire ET un processus dramatique, que l’on peut utiliser tout au long de l’histoire, soit pour densifier des moments d’expositions, en nouant des petits conflits dans une exposition, soit pour les structurer, en donnant des objectifs locaux pour produire une petite trajectoire, etc ...

Le développement dramatique est le moment clé de l’exploitation des ingrédients mis en place dans l’exposition. Il mesure, en les exploitant, la pertinence, la qualité, de ceux-ci.

Didascalie

Instruction du poète dramatique à ses interprètes. Par extension, tout commentaire produit sur une scène et qui en fait partie. " Il était une fois " ou " Par un petit matin blême " écrits dans une image peuvent être considérés chaque fois comme une didascalie.

Diégèse

Désigne l’univers interne de l’œuvre, ce qu’elle permet et ne permet pas.
"Tout ce qui est censé se passer, selon la fiction que présente le film ; tout ce que cette fiction impliquerait si on la supposait vraie."
C’est le manque de cohérence diégétique qui choque la plupart du temps le lecteur/spectateur d’un récit.
Le terme apparait pour la première fois en 1951 pour l’analyse cinématographique, par le philosophe Étienne Souriau, dans La structure de l’univers filmique et le vocabulaire de la filmologie.

Diffus

Nous employerons ce terme pour qualifier des usages dramaturgiques réels mais peu apparents, peu appuyés. Nous parlerons d’une dramaturgie diffuse, d’un personnage diffus, d’une structure diffuse. Tout proche, tout tout proche de la diffusion, se trouve la confusion, l’une étant comme la subtile réussite de ce que l’autre se prétend souvent être par manque de clairvoyance.
Diffus est le symétrique de concentré. Nous empruntons cette symétrie à Guy Debord qui l’a inventée dans un tout autre contexte ...

Dramaturgie

La double racine grecque de ce vocable, que nous clouons à l’entablement de cet atelier, renvoie à la notion centrale de cette pratique, matériau autant qu’objectif : l’activité. Drama signifiant "agir" et urgein, "travailler", on comprendra que faire "travailler l’activité" est l’ambition de tout dramaturge.

Elastique

Si un élément dramaturgique est préparé de manière efficace, le spectateur/lecteur s’attend à son exploitation. Jouer avec cette attente plus ou moins consciente a reçu le nom de "l’élastique" : il s’agit souvent d’étirer au maximum (sans casser la dynamique) le moment du dénouement d’une scène, en retardant le moment d’une révélation ou d’un conflit. Plus l’attente est longue, plus on espère une exploitation puissante, qui peut être travaillée sur un mode maximaliste ou déceptif. L’élastique peut être utilisé dans les ressort principaux d’une narration (un combat tandis que le feu arrive vers le stock de dynamite) ou sur des enjeux mineurs, voire triviaux.
Dans Mad Max : Fury road, Mad Max apparaît de dos au début du film. Il est ensuite capturé et masqué, ce qui cache son visage. C’est le premier film tourné sans l’acteur original, Mel Gibson, il y a donc une attente du public de voir ce visage, qui est repoussée alors même que Mad Max réussit à s’enfuir sans pouvoir enlever le masque de fer, qu’il garde pendant plus d’une demi-heure, échouant plusieurs fois à l’enlever.

Ellipse

Figure de rhétorique consistant à omettre volontairement un ou plusieurs mots, grammaticalement nécessaires, qui ne sont pas indispensables pour la compréhension de la phrase, afin d’augmenter l’intensité du propos. Le soin de deviner le sous-entendu est laissé au lecteur ou à l’auditeur.

"Je n’avance guère. Le temps beaucoup." Eugène Delacroix
"Le paysan prie qu’il pleuve, le voyageur qu’il fasse beau, et les dieux hésitent." (Proverbe chinois)

Bande dessinée

En bande dessinée, l’ellipse est constitutive, puisque l’on a affaire à un découpage du temps par petites unités fixes. Thierry Groensteen parle de "l’espace inter-icônique" ou encore "caniveau". Scott Mc Cloud en fait une bonne définition dans "l’art invisible".

Cinéma

L’ellipse est aussi très souvent utilisée en narration. Le procédé de l’ellipse au cinéma consiste à suggérer une action en montrant simplement ce qui se passe avant et ce qui est observé après. La grande majorité des films se servent d’ellipses pour effacer les actions qui n’apportent rien à la narration. C’est pour cela qu’on ne voit jamais un personnage aller aux toilettes ou se brosser les dents si cela ne fait pas avancer l’action. Mais au-delà de ces ellipses de " convenance ", d’autres sont utilisées au contraire pour faire avancer le récit, pour le rythmer et parfois même pour le compliquer.

Il en existe de plusieurs sortes : Les plus usitées sont l’ellipse de suggestion par le son et l’ellipse de suggestion par l’image, elle même pouvant être une ellipse temporelle ou bien une ellipse spatiale (certaines ellipses peuvent être à la fois temporelles et spatiales).

- La suggestion par l’image est la plus courante, on passe de l’évocation d’une action à son résultat, sans montrer l’action elle-même.
- La suggestion par le son va dans le même sens, mais cette fois l’action est évoquée par un son implicite au spéctateur (par exemple, un homme trouve une publicité. Le plan suivant est noir mais laisse entendre le bruit d’une pièce de monnaie ou d’une caisse enregistreuse pour symboliser l’achat).

C’est au montage que l’ellipse est réellement mise en valeur. Jusqu’alors, des plans peuvent avoir été tournés sans que le réalisateur n’ait conscience de leur non nécessité. La fonction de l’ellipse est donc d’éviter ces redondances afin de conserver le rythme du film. Cette figure de style peut se révéler alors très utile pour un réalisateur qui voudrait perdre le spectateur. Certains films sont mêmes entièrement construits sur des ellipses, créant ainsi des quiproquos, à la manière de Wong Kar-Wai dans son film 2046.

Exemple d’ellipses au cinéma

- Les Tontons flingueurs : Lino Ventura, en réponse au sarcasme d’un invité, pose sa sacoche. L’image suivante montre le persifleur K.O. dans sa voiture de sport.

- L’Homme de Rio : on demande à Belmondo quelle couleur il préfère pour la voiture qu’on va lui fournir. Excédé, il répond "Rose, avec des étoiles vertes !". La scène suivante le montre roulant dans une telle voiture.

- Moi y’en a vouloir des sous : Suite au succès de ses entreprises, Benoît Lepape (Jean Yanne) est élu président du conseil national du patronat. Son prédécesseur le félicite chaudement, et lui demande à quelles nouvelles acquisitions d’entreprise il va maintenant procéder. La scène suivante le montre chassé de sa société d’électronique pendant qu’on y pose un nouveau panonceau : Electronique Benoît Lepape.

Enigme

Sans entrer dans le nuancier linguistique qui oppose et associe énigme à intrigue, nous utiliserons le terme d’énigme, par exemple dans l’expression "effet d’énigme" quand une question est posée par une scène, une aporie est manifeste dans son déroulement, sans être l’objet même de l’histoire. Pour simplifier, on dira que l’énigme est une question locale (mais qu’est-ce qu’il fout ?) et que l’intrigue sera d’amplitude globable (bon sang, mais qui a tué ce foutu président des Etats-Unis ?)

Expectation

L’attente. L’inquiète expectation est produite par l’ironie dramatique : le spectateur sait que les choses risquent de mal finir. Il assiste, inquiet au développement, craignant l’issue de l’histoire. Cultiver l’expectation, nécessite une capacité à exploiter dramatiquement des ingrédients sur le mode de l’issue probable ou improbable. L’expectation est donc le sentiment même de l’intrigue et de la préparation d’un conflit, qu’il s’agit ensuite d’exploiter.
Si l’on reprend la définition aristotélicienne de la tragédie, l’on mesurera combien l’inquiète expectation est fondatrice du genre dramatique : "La tragédie est l’imitation d’une action de caractère élevé et complète, [...] qui est faite par des personnages en action et non au moyen d’un récit et qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation propre à pareilles émotions. "C’est de cette crainte fondatrice que nous parlons et dont l’ironie dramatique est l’outil principal.

Exposition dramatique

Premier des 3 temps de la dialectique de l’équilibre et du déséquilibre dramatique, l’exposition est le moment de l’histoire au cours duquel les ingrédients (personnages, relations, scène dramatique) qui vont jouer un rôle dramatique dans la suite de l’histoire sont présentés, sans encore être exploités. L’exposition est donc, généralement, un moment d’équilibre, d’apaisement, précédant, parfois même préparant les conflits futurs.
Il prépare donc le développement qui sera le passage en situation de déséquilibre de ces ingrédients et la résolution qui, classiquement, signale un retour à l’équilibre.
Attention, l’exposition est donc à la fois une partie générale de la structure, qui se trouve en général en ouverture d’histoire ET un processus dramatique, que l’on peut utiliser tout au long de l’histoire, soit pour l’alimenter de nouveaux ingrédients, soit pour diminuer une intensité dramatique trop pesante. Le syndrome "d’exposition perpétuelle", qui consiste à passer son temps à présenter des éléments, caractériser, décrire des situations, sans jamais les exploiter ensuite dans un conflit, est souvent le signe d’une écriture débutante, mais parfois aussi hautement poétiques.

Extradiégétique

C’est la diégèse d’un récit, placée au niveau du narrateur lorsque celui-ci ne fait pas partie de la fiction (par exemple narrateur omniscient), cela désigne tout ce qui est extérieur à la fiction. Ce niveau permet de placer une information et/ou émotion différente, un décalage du à un point de vue différent.

Foreshadowing

Terme fumeux de l’écriture à l’américaine, se traduit par "présage" ou "préfiguration".
Il s’agit d’un élément placé dans l’histoire qui préfigure un noeud de l’histoire, qui arrivera donc préparé.
Le terme recouvre d’autres concepts comme le fusil de Tchekov ou simplement les concepts de préparation et exploitation. Ce qui fait la différence avec ceux-ci et le succès du terme est sa liaison avec le fan service, le marketing et la création de communautés. Les éléments disséminés dans les décors, les phrases sibyllines des personnages peuvent dans ce contexte donner droit des théories, des textes et vidéos de fans sur le sujet, ce qui augmente les chances de survie du récit récit dans un univers concurrentiel. Vu comme ça, le foreshadowing se rapproche plus du marketing viral que de la construction de récit.

Fusil de Tchekhov

Se dit d’un élément préparé en douce, c’est-à-dire présenté comme un détail non-signifiant en début de récit -souvent pendant l’exposition-, et exploité souvent en fin de récit.
Tout l’enjeu consiste à l’amener de la manière la plus superflue possible, alors qu’en fait il est la démonstration même du principe d’économie de la dramaturgie : tout ce qui est placé est nécessaire :
Supprimez tout ce qui n’est pas pertinent dans l’histoire. Si dans le premier acte vous dites qu’il y a un fusil accroché au mur, alors il faut absolument qu’un coup de feu soit tiré avec au second ou au troisième acte. S’il n’est pas destiné à être utilisé, il n’a rien à faire là .
Anton Tchekhov

Hareng rouge

Du terme anglais Red haring, truchement d’écriture dramaturgique consistant à donner au récepteur du récit des éléments (par des éléments matériel ou le dialogue) le conduisant à interpréter de manière erronée l’intrigue. Dit plus simplement, il s’agit d’une fausse piste, qui peut ensuite donner lieu à une révélation spectaculaire. L’héroïne pensant se protéger du meurtrier en s’enfermant avec ce qu’elle prend pour son allié et qui se révèle être... le meurtrier est un cas de figure classique du thriller. Agatha Christie a beaucoup utilisé le procédé dans ses intrigues, parfois de manière concurrente : à certains points de ses récits, plusieurs personnages ont laissé des indices les indiquant comme le meurtrier, ce qui rend confus le lecteur.
Le hareng rouge est le signe de notre surconsommation de récit, puisqu’il est destiné à détourner notre attention de spectateur trop aiguisée par la consommation de récits. Il est devenu à force lui-même un élément identifiable dans le récit, le faux indice trop évident.

Histoire

Succession des faits reliés entre eux par la causalité.

Incident déclencheur

C’est l’événement amorçant le développement d’un conflit, qu’il soit principal ou local. Il peut avoir lieu hors diégèse (une apocalypse passée, la mort d’un proche, etc.) ou durant l’exposition, amenant au plot. Il peut faire office de plot si le récit suit une thématique plutôt défensive du protagoniste. Un personnage souffrant d’une situation mais préférant le status quo à un changement peut ainsi être confronté à des épreuves, et déclenchées par les conséquences explicites ou cachées de ce même refus. On le voit avec cet exemple, l’incident déclencheur peut être externe, mais il est plus puissant quand il est connecté intimement au protagoniste et évidemment, à la ligne thématique du récit.
Dans les fils Les fils de l’homme, l’incident déclencheur est la demande, faite à Théo par Julian son ex-compagne, de convoyer une jeune femme enceinte. Cet incident est connecté d’une part à un état du monde dans lequel il n’y a plus de naissances, mais aussi au drame intime : Théo et Julian ont perdu un enfant, ce qui avait détruit le couple et fait basculer Théo dans une forme d’apathie dépressive.

Intrigue

C’est la question posée par l’objectif, pourvu que celle-ci n’aie pas une réponse possible a priori. "Jeanne d’Arc mourra-t-elle sur le bûcher ?" n’est donc pas, à proprement parler, une intrigue ... Ni même "Columbo trouvera-t-il l’assassin ?" En revanche : "Comment y parviendra-t-il ?" l’est bel et bien. L’intrigue guide donc l’expectation (et parfois l’expectoration) au cours de l’histoire. A la résolution la responsabilité de lui donner une réponse.
Nous utilisons ce terme, donc, dans le même sens que la "Question dramatique" selon Yves Lavandier.

Ironie dramatique

Donner au récepteur une information que n’a pas un, plusieurs ou tous les protagonistes d’un récit. Le film catastrophe base sa mise en place tout en suspense par ce genre de truchement : un barrage se fend dans ses profondeurs, et nous assistons au réveil routinier du village en contrebas, la discussion sempiternelle entre la veille femme angoissée qui craint l’édifice depuis toujours et le débonnaire, aveuglément confiant dans la parole des experts, qui l’infantilise.
L’ironie dramatique se termine généralement par une scène de révélation où les protagonistes reçoivent l’information. Cette information peut produire une grande variété d’effets sur les protagonistes et par ricochet sur le récepteur. Une révélation sans conséquences peut être vécue comme un défaut d’exploitation, et donc être frustrante, tout comme l’absence de révélation. Ces deux défauts peuvent être intentionnel, mais ils sont souvent le signe d’un défaut d’écriture.
Dans sa version rapide, l’ironie dramatique peut se jouer en un seule scène : le protagoniste fait face à dix brutes menaçantes qui, au moment d’attaquer, s’immobilisent soudain, puis fuient à toutes jambes. Nous découvrons que derrière le protagoniste se tient un monstre puissant, mais le protagoniste, qui n’a pas encore cette information, sourit d’aise, un peu étonné ou franchement satisfait, suivant le degré de comédie.
Voir aussi suspense et quiproquo.

Littéraire

Dans notre entreprise, tout ce qui se rebelle devant l’obsession comportementale et dramaturgique. Le littéraire est donc synthétique plutôt qu’analytique, métaphorique plutôt que causal.

MacGuffin

Terme volontairement abstrait associé à un concept fumeux : le MacGuffin désigne l’objet désiré des actants d’une histoire. Généralement un objet physique, mais dont l’abstraction est telle qu’il n’est pas nécessaire de le matérialiser dans le récit. Il est conçu comme un moteur, mais c’est plutôt dans les faits un démarreur. Son principal théoricien, Hitchcock, le conçoit comme ayant peu d’intérêt pour le spectateur, puisqu’il sert juste à entrainer les protagonistes dans le récits et donc les obstacles, qui sont pour lui le véritable enjeu. Le MacGuffin peut ainsi disparaître en cours de route. Il s’appuie généralement sur les clichés associés à un genre permettant de ne pas le détailler. Le faucon maltais, du film du même nom, est un célèbre McGuffin. Plusieurs pistes sont évoquées à propos de la statue que tous les protagonistes convoitent : métal précieux, contenant des microfilms, ou Dieu sait quoi... Lors de la scène finale, à la question d’un policier "What’s that ?", il est répondu sans trancher quoi que ce soit : "the stuff that dreams are made of."

Mélodrame

A la suite de Lavandier, qui le définit comme une structure dramatique à forte accumulation d’obstacles externes, nous utiliserons ce terme pour désigner la confrontation d’un personnage à un obstacle infranchissable. Sera donc mélodramatique, le combat perdu d’avance.

Métadiégétique

Ce dit d’une diégèse lorsqu’elle contient elle-même une diégèse, par exemple un personnage-narrateur, ou un récit dans un récit écrit. Le cas typique est Shéhérazade dans Les Mille et une nuits.
Se dit aussi hypodiégése.

Métaphore

S’oppose, grossièrement, au littéral. Une représentation littérale renvoie directement au référent, une représentation métaphorique doit s’interpréter et s’appuie donc sur la représentation pour signifier autre chose que ce que l’on y découvre littéralement. Par exemple : " mettre les points sur les i " peut s’entendre littéralement, pour désigner une activité que l’on réalise bic en main, mais plus probablement, elle sera utilisée métaphoriquement, pour indiquer que l’on " corrige une situation ", doigt levé.

Monomythe

Le monomythe est un concept avancé par Joseph Campbell principalement dans son livre de 1949, Le Héros aux mille et un visages, défendant l’idée que tous les mythes, toutes cultures confondues, racontent la même histoire :

"Un héros s’aventure à quitter le monde du quotidien pour un territoire aux prodiges surnaturels : il y rencontre des forces fabuleuses et y remporte une victoire décisive. Le héros revient de cette mystérieuse aventure avec la faculté de conférer des pouvoirs à ses proches."

Largement influencé par la psychanalyse de Freud relue par Jung, le monomythe postule une forme d’universalité de l’inconscient, principal créateur des récits transmis par voie orale et écrite, dans un but d’édification.
Le concept, à travers la littérature de Campbell, aura surtout une force opératoire : Lucas et Spielberg, fascinés par cette théorie, vont l’utiliser comme base de l’écriture de leurs scénarios. Comme chez Walt Disney, le passage par le mythe et le conte promet de pouvoir s’adresser à l’humain de manière universelle, ce qui signifie en termes Hollywoodien une large audience potentielle.

Le monomythe, perçu comme le Graal de l’écriture de scénario, va être sur-utilisé par une partie des scénaristes, jusqu’à épuiser l’audience par une trop grande prévisibilité des scénarios.

Mystère

Le mystère consiste à présenter au lecteur un élément compréhensible par un ou plusieurs protagonistes du récit mais pas par lui. Elle peut dans certains cas être énoncée sous forme de question en voix off.
C’est donc une information appartenant à la diégèse, dont le lecteur n’a pas les clés de lecture, temporairement ou définitivement.
Le mystère trouver généralement son dénouement par une scène de révélation, le moment d’un récit où l’information manquante est livrée au lecteur. Ce peut être un moment spectaculaire, drôle ou émouvant. Une révélation sans exploitation, c’est à dire sans conséquences, peut être d’une grande frustration, et être ressentie comme un défaut d’exploitation.
Un des exemples les plus connu de mystère est le fameux "Rosebud" du Citizen Kane, préparé dans les première scènes du récit et faisant l’objet d’une révélation au dernier plan.
Le mystère est le symétrique l’ironie dramatique, dans laquelle le récepteur possède une information qu’au moins un des actants ne possède pas.

Narration

Relation d’une histoire.

Nécessaire

Dans l’acception traditionnelle, on le considérera comme ce qui ne peut pas ne pas être. En dramaturgie, sera nécessaire, ce qui produit des effets. Un événement sera riche en nécessité, donc en dramaturgie, s’il produit des conséquences multiples. Produire de la nécessité c’est donc, exploiter un ingrédient dramatique. Il est le symétrique du vraisemblable.

Objectif local

Objectif traité dans une scène dramatique, par opposition à celui qui fait l’objet de l’oeuvre entière. On peut dire aussi "objectif à court terme".

Pour pouvoir gagner la guerre contre l’Empire, Luke Skywalker devra d’abord trouver un vaisseau spatial, échapper au vaisseau impérial, délivrer la princesse, rejoindre les rebelles, attaquer l’étoile noire, qui sont autant d’objectifs locaux.

Objet

Le grand autre du Sujet Actantiel. Synonyme d’objectif, il est " ce qui meut le sujet ". Pour donner à l’objet un statut le moins arbitraire et le plus consistant possible, il est bon :
- De réfléchir à des objets médians qui permettront d’atteindre l’objet final
- A donner à l’objet de la quête, un double statut : matériel (la Toison d’Or) et immatériel (ses qualités mystiques permettant de reprendre me pouvoir sur la Thessalie)

Obstacle

Le noyau de la dramaturgie aristotélicienne ou assimilée. Il fait partie d’un trio dramaturgiquement riche, porteur de cohérence et de continuité, le légendaire Objectif - Obstacle - Conflit. L’obstacle se dresse donc entre le personnage et son objectif et produit du conflit. Il a de nombreuses vertus, telles que :
- forcer le personnage à user de ses ressources pour agir, les choses étant hostiles, donc le forcer à se caractériser, à produire des caractéristiques à travers du comportement ;
- densifier le rapport à l’objectif, puisque c’est en fonction de celui-ci que l’obstacle a sa fonction dans l’histoire, et que c’est parce qu’il y a objectif, que le personnage affrontera l’obstacle. Le lien entre le personnage et son objectif en est donc de ce fait réaffirmé.

Yves Lavandier se lance dans une mise en ordre un peu douteuse des types d’obstacles. Nous n’entrerons pas ici dans les débats qui peuvent présider à la contestation de cette nomenclature. Puisqu’elle reste éclairante, nous la présentons telle quelle.
Il parle donc de 3 types d’obstacles :
- Les obstacles externes, indépendants de la responsabilité du protagoniste. Vous passez à la banque, régler un problème administratif. Soudain, un cambriolage. Vous n’y pouvez rien, c’est un obstacle externe.
- Les obstacles internes, dépendants de la responsabilité du protagoniste. Vous êtes maladivement jaloux, ce qui vous met rapidement à dos toutes vos conquêtes amoureuses qui détallent en vous traitant de malade. C’est un obstacle interne.
- Les obstacles externes, d’origine interne : Vous arrivez à la banque. Un cambriolage est en cours. Qu’à cela ne tienne, vous êtes pressés, vous y rentrez quand même, pour déposer un virement. Evidemment, vous êtes pris en otage. L’obstacle criminel est externe, mais vous êtes sciemment allés vous jeter dedans. Votre témérité vous y a poussé.

Opposant

" Celui qui nuit ". Il alimentera les obstacles, augmentera les difficultés pour le Sujet. Un bon pôle opposant est le garant d’une dramaturgie souvent plus riche qu’un gros pôle adjuvant.
Il est intéressant d’observer les interactions entre Opposant et Sujet :
- L’excès d’opposant, qui triomphe donc du sujet, l’empêchant d’atteindre l’objet, prendra l’aspect du mélodrame.
- Le défaut d’opposant, en revanche, est un vecteur très franc de diminution de la dramaturgie, de sa cohérence, de sa dureté. Pour le meilleur, ce sera afin de laisser émerger d’autres couches, poétiques, littéraires ou psychologiques ; pour le pire, ce sera afin de laisser émerger l’ennui, pour la colère...
Deux figures fondamentales et intéressantes de l’usage de l’opposant sont :
- la trahison, au cours de laquelle l’adjuvant devient un opposant (Judas)
- la conversion, qui est son symétrique, au cours de laquelle un opposant deviendra adjuvant (St Paul sur la route de Damas).

Ouverture, ou point d’attaque

Définit le moment où nous prenons l’histoire, où nous démarrons le récit. Comme toute la partie d’exposition qu’il initie, il contient de l’information. La règle veut qu’il le fasse au maximum par l’action. Le point d’attaque est, dans le film hollywodien contemporain, généralement ce qui est le plus fort, et qui reste... L’assaut de la plage de Normandie dans "Il faut sauver le soldat Ryan", qui identifie l’hébétude du spectateur, balancé en caméra subjective dans la flotte sous les balles, à l’hébétude des soldats eux-mêmes, est d’une plus grande force que tout le reste du film. Dans les 007, le point d’attaque est toujours la fin d’une mission, etc.

Le point d’attaque n’est pas nécessairement le début de l’histoire, on l’a compris. Il peut être une anticipation ou un flash-back.

Il est aussi coupure entre le continuum de nos vies et la temporalité du film, comme le cadre doré définit la surface de l’oeuvre d’art, ou le rideau rouge, aujourd’hui disparu. C’est la raison pour laquelle il est bichonné : il est ce qui arrache le spectateur le spectateur de son quotidien pour l’arrimer au film.

Paiement

Autre façon de parler de l’exploitation dramatique, le paiement fait donc suite à un ingrédient qui le prépare. Le couple, préparation - paiement augmente la cohérence dramatique d’une histoire.

Pause dramatique

On appellera pause dramatique tout ce qui échappe à la loi d’airain de la causalité, préparation, exploitation. La pause dramatique est stratégique : elle permet pour les protagonistes d’accuser le coup après un noeud particulièrement tendu (la disparition d’un adjuvant important par exemple) ou de faire retomber brutalement la tension après une série de scènes très intenses. Il peut s’accompagner d’une crise, c’est-à-dire d’un court moment où le protagoniste perd le sens de son objectif.
Si la pause dramatique est le fait de la pure licence poétique devant la machine de guerre de la dramaturgie, lui échappant, lui résistant, elle a aussi intérêt à être consistante, pour lui tenir réellement tête.

Perspective de conflit

Défaut majeur de la dramaturgie débutante selon Yves Lavandier, la perspective de conflit est en manque d’exploitation des ingrédients qui sont pourtant mis en place pour qu’un conflit éclate.

D’une façon générale, on peut dire que la perspective prépare le conflit, mais qu’une dramaturgie "dure" l’exploite. Une dramaturgie douce pourra choisir d’en rester à l’indicible appréhension, sans lui donner les suites de l’affrontement.

Pitch

La version la plus synthétique que l’on puisse trouver du synopsis, il concentre l’histoire en une ou deux lignes.

Plot Point

Ouuuu le vilain terme hollywoodien. Mais comme il sonne bien, on le garde. Il est l’événement qui fait basculer l’histoire dans le développement. A l’occasion du plot, la situation d’équilibre qui présidé à l’exposition, bascule dans le déséquilibre qui va présider au développement. Le passage entre le développement et le retour à l’équilibre de la résolution sera parfois également marqué par un second plot.
Bien souvent, le moment du plot est également celui où apparaît l’objectif, qui visera à rétablir un équilibre dans ce qu’il vient bousculer.
Cette scène est donc capitale dans une dramaturgie très structurée. Cependant, elle fait partie des archétypes les plus " durs " de la narration académique contemporaine, j’ai nommé le cinéma mainstream américain. Il est donc à manipuler avec intelligence pour ne pas, dès le moment où il sera repéré, passer pour l’œuvre d’un crétin (à savoir vous-même, en tant qu’auteur).
Il est toujours possible de refuser le plot point et son adresse explicite au récepteur. Dans ce cas, il est quasiment impossible de se passer d’au moins un incident déclencheur, qui sera le porteur du basculement du protagoniste dans une situation conflictuelle. Le récit met alors le protagoniste sur la défensive, le forçant à réagir à une situation subie.

Point de non-retour

Le point de non-retour, dans une scène, est le moment où il devient évident que le protagoniste ne peut plus revenir à la situation stable qu’il a connu auparavant. Ceci, soit pour des raisons externes (le monde tel qu’il l’a connu, ou où il pouvait se replier, est détruit), soit pour des raisons internes (il a été trop changé par les épreuves subies).
Certains théoriciens des structures dramaturgiques situent ce moment en amont du plot principal, ce qui fait que le protagoniste ne peux plus reculer dès l’apparition des premiers obstacles, mais il est plus courant de considérer qu’il apparaît au cours de la progression dramatique. En effet, beaucoup de récits offrent la possibilité d’un abandon d’objectif sans trop de casse jusqu’à un point assez avancé du récit, dans le domaine de la comédie notamment.
Comme on l’a dit, le point de non retour est parfois imposé par des circonstances extérieures (un pont est détruit, un adjuvant a trahi, etc.) parfois il est une décision forte délibérée par le protagoniste. Par malice, il est parfois proposé au protagoniste d’abandonner sa quête, lors d’une crise par exemple ("si on laissait tomber ?"), ou encore en échange d’un statut retrouvé ou même amélioré ("nous avons besoin de personnes comme vous, rejoignez-nous").
Une fois la décision prise, les obstacles les plus puissants peuvent se dresser sans entamer la détermination du protagoniste.

Progression dramatique

Nous utiliserons ce terme plutôt pour identifier si oui ou non l’enchaînement des obstacles et des conflits se fait crescendo, auquel cas nous aurons une progression dramatique dure, forte, concentrée ou non crescendo. Le modèle académique préconise un tel crescendo, qui culmine dans le Climax, scène d’intensité dramatique maximale. Ce dernier n’ayant donc de sens que s’il y a préalablement progression, puisqu’il la culmine...

Protagoniste

Au sens étymologique, que reprend très justement Yves Lavandier, le protagoniste est le "premier combattant". Nous considérerons donc que c’est le personnage qui vit le plus de conflit, le plus combattant. Si l’on applique cette définition à l’histoire complète, on peut considérer que le "personnage principal" de cette histoire, celui qui y apparaît le plus, sera le protagoniste. Mais à l’échelle de la scène, ce n’est pas toujours le cas. D’autres personnages peuvent y vivre plus de conflit et être, de ce fait, les protagonistes de cette scène. Le terme s’applique donc globalement à l’échelle de l’histoire, mais aussi localement à l’échelle de la scène.

Question thématique

Résumée en une phrase, la question que pose le récit dans sa thématique. Elle a le plus souvent trait à la relation sujet-objet, mais s’axe sur la transformation du protagoniste. La réponse peut être positive ou négative, ce qui délivre généralement le "message" de l’oeuvre.

"Luke, un jeune fermier immature aidé d’une vieille croyance, peut-il quelque chose contre la tyrannie de l’Empire et sa technologie de pointe ?"

Quiproquo

Une des figures maitresses de la comédie, le quiproquo est une situation où deux protagonistes (ou plus) dialoguent sur un sujet qu’ils croient commun, mais qui n’est pas le même. Pour que l’effet comique (ou tragique) fonctionne, il faut que le spectateur le sache ou le découvre. C’est donc une variante de l’ironie dramatique, qui est parfois mise en place dans une scène unique, ou sur le long terme, et parfois ailleurs que dans la comédie, pour produire des affects autres que le rire.
Le grand blond avec une chaussure noire de Yves Robert, La garçonnière de Billy Wilder ou encore La mort aux trousses de Hitchcock utilisent des quiproquo sur une partie importante du récit, avec des effets différents, tragiques ou comiques et parfois les deux ensembles.

Redondance

Paul Robert parle à la fois d’une abondance excessive du discours ou d’un développement inutile. On comprend donc que la redondance est un défaut terrible qui, au lieu d’exploiter chaque dimension narrative (parole, image, titre, etc ...) s’enferme dans le gaspillage de la répétition.

Référent

Ce qui est externe au signe. Nous l’utiliserons, en gros, dans le même sens que " Réel ". Il participe de la triade célèbre : Signe - Référent - Sens (qui les unit dans le discours). Le signe est donc, par exemple, un mot, une image, un son, bref, une représentation. Le référent est une chose. " Miaou " est un signe. Il désigne, en français : un miaulement. Il ne vous réveillera pas la nuit. En revanche, le " vrai " miaulement bien. C’est le référent. Le sens réunit les deux. Le sens de signe " Miaou " (que vous lisez maintenant) est : " un miaulement " (que vous n’entendez pas, en le lisant, mais comprenez. Le sens, en effet, est une abstraction).

Rencontre

Figure fondamentale de la caractérisation comme de la confrontation conflictuelle, elle met en présence des personnages qui savent peu l’un de l’autre et qui vont à la fois révéler et découvrir mutuellement leurs caractère à la faveur de cette occasion.

Résolution dramatique

Le 3ème des 3 temps de la dialectique de l’équilibre et du déséquilibre dramatique, la résolution est le moment de l’histoire au cours duquel les ingrédients (personnages, relations, scène dramatique) mis en place dans l’exposition et exploités dans le développement achèvent leur trajectoire. La résolution donne lieu à 2 scènes importantes : le moment de la réponse dramatique, qui met en scène la fin de l’intrigue ; et l’état des lieux, qui permet de mesurer ce qui a changé entre ce nouveau moment d’équilibre, et le premier, qui était pris en charge par l’exposition.
Elle clôture donc le développement, et solde tous les comptes de l’histoire, permettant d’y écrire le mot fin.

Révélation

Ce qu’Aristote nomme Reconnaissance au chapitre 11 de la poétique et qu’il définit, avec sa légendaire clarté : La reconnaissance, comme d’ailleurs le nom l’indique, est un passage de l’ignorance à la connaissance.
L’importance dramatique de la révélation est produite par les conséquences de celle-ci, qui doivent être inéluctables. Une révélation sans conséquences, est inutile et dramatiquement faible. Un récit cherchant à produire un effet d’absurdité, d’absence de sens des choses pourra utiliser un tel procédé de non exploitation de la reconnaissance.

Scène

Les conventions varient pour la définir. Par héritage de la pratique cinématographique, nous dirons qu’il y a scène quand il y a changement de lieu OU changement de temps. Toute discontinuité spatiotemporelle détermine donc une scène.

Scène dramatique

Elle désigne le lieu où va se jouer la dramaturgie : New-York peut être une scène dramatique, autant que La cuisine de Jeannine. La galaxie tout comme La piscine Victor Bouin. L’intérêt de définir la scène dramatique est d’abord de lui donner une frontière, comme pour refermer le bocal dans lequel les choses vont se passer ; ensuite de pouvoir exploiter cette scène, dès lors qu’on la définie, dans tout ce qu’elle peut offrir pour nouer ou dénouer la dramaturgie.

Scène-à -scène

Version française du step outline. Outil d’écriture intéressant, il respecte la division en scènes de l’ensemble de l’histoire, en les synthétisant chacune en quelques lignes. L’outil est excellent pour analyser et modifier des parties de structure générale.

Schéma actantiel

Né de l’analyse des contes de fées, le schéma actantiel formalise les relations dans l’histoire entre les actants organisés en 6 pôles. Un actant est un intervenant humain ou non humain (une montagne ou la peur peuvent être un actant). Un pôle d’actants peut contenir un ou plusieurs actants, et les actants peuvent être présents dans plusieurs pôles.
La relation fondamentale du schéma réunit le pôle du sujet et celui de l’objet. On reconnaît la relation classique du protagoniste à son objectif. Elle est enrichie de 4 pôles actantiels : d’une part, l’adjuvant et l’opposant, qui enrichissent la conflictualité du rapport sujet-objet.
L’adjuvant, celui qui aide, permet au sujet de se rapprocher de l’objet.
L’opposant, au contraire, s’interpose dans la trajectoire du sujet vers son objet.
Adjuvants et opposants sont ainsi qualifiés parce qu’il produisent des actes concrets : une personne proposant son aide ou menaçant de nuire n’est pas un opposant, sauf si ceci encourage ou décourage efficacement le protagoniste...
Le destinateur donne la quête, tandis que le destinataire est celui qui bénéficiera des résultats de la quête.
Le schéma est une image diachronique du récit, il ne donne pas d’idée de temporalité. Il dépeint le récit dans son entièreté, de son début à la fin. Si l’objectif est reformulé durant le récit, c’est l’objectif "final" qui est spécifié.
L’intérêt de ce modèle rudimentaire, est de questionner les structures relationnelles dans les histoires que vous produirez pour détecter les types, parfois inexistants, et parfois confus, de rapports entre les personnages. La richesse de l’outil vient aussi de sa grande maniabilité, car il est facilement combinable, déplaçable, inversable.

Voir à ce propos le texte sur le schéma actanciel, extrait de "Techniques du scénario" de Pierre Jenn

Séquence

Multiple de scènes. L’unité de mesure n’est plus ici l’espace ou le temps, comme dans la scène, mais l’action. On parlera donc d’une séquence quand plusieurs scènes permettent d’identifier l’épisode complet d’une action.

Stéréotype

Issu de la psychologie des foules, ce terme désigne une image de l’autre formée non pas sur l’expérience mais culturellement.
Pour décrire les caractères par exemple, le stéréotype est codifié par un ensemble de signes, qui vont d’attributs corporels au vêtements et à l’attitude, au langage jusqu’aux attributs. Il permet de camper un personnage ou identifier une situation avec peu de moyens. Pour cette raison, il représente un gain de temps tentant. Il peut aussi séduire parce qu’il fait entrer l’image créée dans une histoire, celle de ce stéréotype, ce qui donne un sentiment de familiarité avec lequel on peut éventuellement jouer par l’ironie. Mais il représente souvent un manque d’imagination, voire du conformisme ou des positions politiques plus ou moins assumées. On s’en méfiera donc lorsqu’on le voit émerger, d’autant que la reproduction culturelle est la forme dominante de sa diffusion.

Sujet

Dans le schéma actantiel, il est le noyau autour duquel les 5 autres pôles s’organisent. Il est synonyme de protagoniste.

Suspense

Tout le monde connaît la phrase du père Alfred : "I don’t believe in surprise, I believe in suspens." Le suspense est l’emblème de l’ironie dramatique, donnant une longueur d’avance au spectateur sur le personnage pour le faire s’accrocher à son fauteuil. La figure tutélaire du suspense nous est donnée par Guignol, questionnant les enfants : " Mais où est donc le gendarme " ! Et tous les enfants de hurler, l’ayant vu se cacher derrière le rideau : il est là , il est là . L’ironie dramatique se manifeste ici dans toute sa puissance : les enfants savent le danger qui guette Guignol, tandis que celui-ci ne sait pas. Cette figure est bien le symétrique inverse de la surprise, car à ce moment-là , les enfants et guignols découvrent en même temps que le gendarme était derrière le rideau. Des cris sont aussi poussés, mais pas au même moment. Citons le légendaire exemple du père Alfred dans les conversations avec Truffaut : "La différence entre le suspense et la surprise est très simple. Nous sommes en train de parler, il y a peut-être une bombe sous cette table et notre conversation est très ordinaire, il ne se passe rien de spécial, et tout d’un coup, boum, explosion. Le public est surpris, mais avant qu’il ne l’ait été, on lui a montré une scène absolument ordinaire, dénuée d’intérêt. Maintenant, examinons le suspense. La bombe est sous la table et le public le sait, probablement parce qu’il a vu l’anarchiste la déposer. Le public sait que la bombe explosera à une heure et il sait qu’il est une heure moins le quart - il y a une horloge dans le décor ; la même conversation anodine devient tout à coup très intéressante parce que le public participe à la scène (...). Dans le premier cas, on a offert au public quinze secondes de surprise au moment de l’explosion. Dans le deuxième cas, nous lui offrons quinze minutes de suspense"

Synopsis

La version schématique, littéraire et surtout complète de l’histoire qui se raconte. C’est outil qui permet d’évaluer la structure du récit, et de le communiquer vers l’extérieur. On compte environ 30 pages pour un long métrage.

Trahison

Une des plus grandes figures dramaturgique qui soit. Elle fait passer un actant du pôle adjuvant au pôle opposant. En général, elle est très riche en conflits et provoque souvent un solide moment de complexité chez le Sujet. Souvenons-nous de Médée.
Elle est le symétrique parfait de la figure de la conversion.

Transcript

Le transcript est un acte d’écriture qui, partant d’un film en écrit le scénario. Il fait donc le chemin inverse de la réalisation habituelle qui part du scénario pour arriver au film. Si le scénario prépare le film, le transcript, en revanche, reconstitue le scénario à partir de ce dernier, en suivant les mêmes règles d’écriture : découpage en scènes, métrique scénaristique, écriture comportementale, etc ...

Ventre Mou

Le défaut majeur des dramaturgies débutantes ou bâclées. On les détecte par l’aspect mollasson et distancié des objectifs et des activités, par l’effet d’exposition perpétuelle, par l’invraisemblance et l’arbitraire des activités, par l’absence d’enjeu. Dans les dramaturgies dures, c’est le défaut rédhibitoire, les dramaturgies molles c’est une caractéristique de l’indolence qui parfois a une grande valeur poétique.

Vraisemblable

Dans l’acception traditionnelle, on le considérera comme ce qui est croyable. En dramaturgie, sera vraisemblable, ce que l’on relie à une cause. A l’inverse, sera invraisemblable ce qui ne se relie pas à une cause. Vraisemblable est, en dramaturgie, le symétrique de nécessaire, comme Aristote l’indique plusieurs fois, sans faire explicitement la liaison avec des questions de causalité. Produire du vraisemblable c’est donc, préparer un événement dramatique, inventer de la cause pour des effets futurs. Si l’on dit que "la réalité dépasse la fiction", c’est précisément parce qu’elle s’octroie, à la différence de cette dernière d’être un tissu de choses invraisemblable. Rappelons-nous cette histoire vraie mais totalement invraisemblable de ce jeune homme qui, voulant se suicider parce que ses parents se disputaient trop souvent, se jeta du haut de la maison familiale. En passant devant la fenêtre du 2ème, sa mère, qui, en pleine scène de ménage avec son mari, le menaçait fusil, laissa partir le coup par mégarde et tua sur le coup son fils, dont le corps inanimé était mollement accueilli par l’auvent ouvert, nous étions en été, du café.
Il est bon de savoir que l’invrasemblance dans une histoire est un gros facteur de perte de cohérence. Pour résoudre ces problèmes dans une scène ou une séquence, il s’agit souvent de construire plus la préparation.
Une exception notable, cependant, si l’événement invraisemblable est riche en conséquences dramatiques, donc conflictuelles, il sera validé par la dramaturgie, ce qui est logique. Reprenons l’exemple du coup de fusil : sil la suite de l’histoire consiste pour la mère à devoir démontrer que c’est un accident, alors que tout l’accuse, cet événement totalement invraisemblable sera valide, car riche en nécessité future.
Attention, la nécessité dramatique qui rachète les possibles invraisemblances se doivent d’alimenter le conflit, sous peine de devenir un deus ex machina. Un événement invraisemblable qui solutionne d’une baguette magique une situation conflictuelle, de ce fait, est totalement irrecevable. Seules les emmerdes qu’il peut amener nous font l’accepter
Prenons un exemple éclairant chez un auteur qui fait abondamment usage de l’invraisemblable pour alimenter de la nécessité dramatique de ses histoires, j’ai nommé le très catholique Georges Remy.
Et parmi ses albums, choisissons le légendaire Crabe aux pinces d’Or qui voit apparaître pour la première fois le personnage du capitaine Haddock. Comment débute cette aventure ?

Page 1 : Milou, lors ... d’une promenade (?), fouillant dans une poubelle se bloque le museau dans une vieille boîte de crabe. Réprimande de Tintin.

Page 3 : Tintin, ayant rencontré les Dupont et Dupond, les accompagne chez eux pour voir les documents qu’ils ont rassemblés dans une affaire de fausse monnaie.

Page 3-4 : Il découvre, parmi les rares indices rassemblés, un morceau de papier arraché précisément sur la boîte avec laquelle Milou, 3 pages plus tôt, précisément jouait. Quoi de plus INVRAISEMBLABLE que cela ? La coïncidence est proprement INCROYABLE ! Il n’y a aucune causalité qui relie ces 2 événements. Et pourtant, ça passe.

Page 6 : Tintin découvre sur le morceau de papier le nom d’un bateau griffonné au crayon. Quoi de plus INVRAISEMBLABLE ? Est-ce bien raisonnable de croire que "on" va utiliser un morceau de boîte de conserve pour noter le nom d’un bateau ? Il est très difficile d’imaginer la causalité qui préside à ce geste : l’homme a un crayon et rien d’autre qu’une boîte de crabe pour y écrire un nom, boîte de crabe que l’on retrouve dans une poubelle mais dont le bateau, par ailleurs regorge. C’est tangeant.

Page 9 : Tintin, ayant découvert que le nom écrit sur ce papier était celui d’un bateau amarré au port, s’y rend et risque d’emblée de se faire assassiner par la chute d’une caisse gigantesque de sardines à l’huile ! Est-il bien raisonnable de croire que des bandits vont prendre de tels risques, d’entrée de jeu, en tuant un petit minable un peu trop curieux, qui se promène sur un quoi ? INVRAISEMBLANCE totale. Au contraire, ils feraient mieux de ne pas agir de la sorte.

Et pourtant, toutes ces incroyables invraisemblances, passent et passent encore, parce qu’elles sont génératrices d’une forte de dose de nécessité, c’est-à -dire, de conséquences dramaturgiques, d’activités conflictuelles.

L’invraisemblance est surmontée grâce au phénomène appelé "Willing suspension of disbelief" (voir le lexique).

Willing suspension of disbelief

On l’appelle plus souvent suspension volontaire de l’incrédulité ou suspension d’incrédulité, ou encore trêve de l’incrédulité.

Elle désigne le processus qui accompagne la consommation d’une fiction d’une nature quelconque (de la blague au cinéma). Cette opération mentale est le fait d’accepter de vivre un rêve ou une fiction comme s’il s’agissait de la réalité, pour mieux ressentir ce que pourrait être la situation évoquée.

Cette opération fait baisser le niveau acceptable de vraisemblance (évoqué dans le lexique précédemment). C’est ce qui fait d’une fiction un outil puissant de propagande, là où la littérature savante (essai, pamphlet, analyse) sollicite l’esprit critique et l’analyse, la fiction impose d’entrée de jeu une acceptation des codes mis en place pour en jouir.