The Shelter

Une structure dramaturgique stricte, rigoureuse, symétrique
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Chef-d’oeuvre de dramaturgie aristotélicienne, ce " vulgaire " épisode de la série télévisée Twilight zone reprend non seulement TOUTES les articulations archétypiques développées au cours de l’atelier, mais y affirme sans cesse un principe de symétrie classique digne de quelque jardin à la française, façon Versailles.

La séquence d’ouverture, virtuose, dure quelques secondes à peine : un plan d’ensemble sur une rue résidentielle, un mouvement panoramique vers le plan large de l’entrée d’une des maisons de cette même rue, un gros plan sur un gâteau d’anniversaire qu’on suppose à l’intérieur de la maison. Basta. Dans le son, une variation sur la musique d’happy birthday to you et des rires.

L’exposition, courte, dure environ deux minutes. Elle est à la fois très efficace et très typée : c’est la fin festive d’un dîner d’anniversaire qui rassemble tous les personnages du drame qui va suivre. On fête le docteur Stock, protagoniste du futur drame qui va se nouer. La situation est, bel et bien, en équilibre : tout le monde devise gaiement autour des restes d’un gâteau en l’honneur du docteur. Jerry, ami de 20 ans docteur fait un discours en hommage à celui qui les soigne depuis toujours.

L’enjeu du futur drame est exposé, sur un mode insouciant et ironique au cours des bavardages amicaux : the doctor bomb shelter !

" Lorsque soudain ", lancement archétypique du Plot Point, lorsque soudain, donc, arrive le fils du docteur Stock. Il interpelle son père : il n’y a plus d’images à la télé ; une voix a demandé que l’on branche la radio. 3 minutes à peine de film ont passé !

Et " Tout bascule en quelques secondes ", archétype d’une scène de Plot Point : en quelques secondes, le ton va être donné, l’objectif posé, le contraste terrible entre l’équilibre de l’exposition et le déséquilibre du développement rendu immédiatement tangible. Cette scène, d’une virtuosité dramatique terrible se passe, en outre, sans la moindre parole, sinon celle, funèbre, qui monte du poste de radio. Retenons cet " accessoire dramatique " qu’est la radio, car il jouera son rôle lors d’une articulation fondamentale suivante.

La fuite des convives témoigne immédiatement de l’importance de l’enjeu : sauver sa peau.

Chez les Stock, c’est l’agitation. Et les obstacles vont se succéder. Sous la forme de perspective de conflits (non exploités donc) ou de conflits affirmés.

Immédiatement, deux obstacles externes en perspective de conflit apparaissent : l’électricité vacille ; l’eau diminue.

Un obstacle externe, juste derrière, renforce encore le climat de tension conflictuelle de ce début de développement : la perte d’une bouteille d’eau, cassée par Grace ; mais cet obstacle externe est d’origine interne : en effet, si Grave fait tomber la bouteille, c’est parce qu’elle est sous l’emprise de la panique. "Etre sous l’emprise de", voilà qui désigne bien l’aspect interne d’un obstalce.

Cet obstacle interne se manifeste brièvement pour lui-même : la panique de Grace, qui provoque sa colère irrationnelle. On voit que cette dimension caractérielle et panique ne sera pas exploitée. On peut se demander pourquoi. Il y a là une piste très riche, laissée en perspective de conflit.

Un nouvel obstacle externe apparaît immédiatement : il n’y a plus d’ampoules de réserve, mais il est aussi d’origine interne : Grace Grace, sous l’emprise de sa futilité, a préféré faire des achats en soldes au remplacement de la réserve d’ampoules.

Arrive un premier moment de complexité : Grace, découragée, se met à prier et veut " tout abandonner ". L’objectif est suspendu : dans de telles conditions, se protéger dans l’abri est remis en question. Mais le docteur Stock lui rappelle l’enjeu : survivre pour que leur fils, lui-même, vive !

1ère progression, un obstacle externe franc : Jerry vient négocier une place dans l’abri, pour lui et sa famille, qui n’a évidemment pas été conçu pour accueillir " d’étrangers ".

2ème progression, un second obstacle externe franc : Marty arrive, lui aussi. Mais cette fois, il est accompagné de sa famille en chair et en os.

2ème moment de complexité : le docteur Stock est très brièvement (trop ?) pris dans un dilemme tragique : son devoir de médecin (qui exige de lui qu’il aide son prochain) entre en conflit avec celui de père et mari (qui le pousse à choisir famille au détriment de tous). Il le résout par cette légendaire phrase : " c’était il y a des millions d’années " (It was a million years ago).

3ème progression, un troisième obstacle externe franc : une troisième famille débarque avec ses enfants. On remarquera la géométrie de la progression dramatique, Jerry a un enfant, Marty en a deux, cette nouvelle famille débarque avec quatres enfants.

La 4ème progression est un cas particulier : les familles s’entre déchirent. Il ne s’agit donc pas d’un obstacle pour le docteur Stock, mais d’une façon de faire monter la pression dramatique, de provoquer de la progression, indépendamment de tout nouvel obstacle.

5ème progression, un nouveau voisin arrive. Il propose de trouver un bélier pour enfoncer la porte. Le groupe opposant au docteur Stock met ce plan à exécution et, traversant la salle à manger avec le bélier, renverse la table sur laquelle restait du gâteau d’anniversaire.

C’est le Climax : la porte est enfoncée, le conflit est maximal, l’obstacle externe est insurmontable pour le docteur Stock, " tout semble perdu ", forme archétypique du climax. Nous sommes à la minute 18’30"

" Lorsque soudain ", Plot 2 : la radio annonce que c’est une fausse alerte. Et " Tout bascule en quelques secondes ", à nouveau : la situation s’apaise brutalement. Vous aurez remarqué la symétrie entre le levier du plot 1 et celui du plot 2 : une annonce radiophonique. C’est la minute 19’. Il reste à peine 3 minutes de film.

C’est la résolution : on s’embrasse, promesse est faite de réparer les dégâts, on propose d’organiser une fête de quartier. C’est le retour à l’équilibre. En apparence, tout est rentré dans l’ordre.

Cependant, un état des lieux mesure bel et bien l’écart qui subsistera, à travers le drame, entre l’union amicale du début, et celle qui se reconstruit à la fin. Il se fait en deux temps : d’abord, le docteur Stock constate que cet incident a révélé en nous les bêtes sauvages qui someilles dans nos costumes bien soignés.

Ensuite, tout le monde, pour quitter silencieusement la maisonnée, traverse la salle d’anniversaire dévastée. La symétrie est respectée une nouvelle fois : l’anniversaire festif du début s’achève sur ses barbares décombres.