Transcript de Another Earth

Un extrait d’une minute trente, quasiment silencieux, laissant apparaitre une situation tendue entre deux personnages, dans une scène de nuit.
Another Earth est un film américain de Britt Marling & Mike Cahill, sorti en 2011.

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Il fait nuit. Une jeune femme aux cheveux longs accourt, mains en avant, sur la porte latérale d’une maison au parement de lattes blanches faiblement éclairée par un lampe extérieure. Main gauche appuyée sur le mur, elle agrippe le pommeau de la porte, la jette en arrière pour frapper trois coups secs sur une deuxième porte derrière la première, se collant contre elle. La première porte, munie d’un ressort, revient sur elle sans qu’elle n’y porte attention. Elle supplie en un souffle "Please let me in", une fois, puis une deuxième, la main gauche posée sur le chambranle. Une voix d’homme excédé provient de quelque part à l’intérieur de la maison, intimant "Stay away from me". La voix lointaine répète une deuxième fois cette phrase. On perçoit le son de la poignée de porte sur lequel la jeune femme insiste plusieurs fois, le corps pris entre les deux portes.

Soudain, la jeune femme, qui porte un pull ample dont les manches lui couvrent les mains jeté sur une robe à fleurs blanches qui lui arrive aux genoux, fait volte-face et saute les quelques marches du perron du corps de bâtiment à un seul étage où elle se trouvait. Nous voyons maintenant que la porte est flanquée de deux lampes en cloche dont seule celle de droite fonctionne.
Courbée maladroitement en avant, tête presque aux genoux, elle tire en arrière, à petits pas rapides, un lourd pot de fleur en longeant la façade de la maison au bardage blanc, faisant osciller deux branches d’un arbuste haut et rachitique qu’il contient, jusqu’à une fenêtre située à 1 mètre 60 du sol environ. La respiration courte, elle se redresse vivement, met un pied puis l’autre sur le pot et pose ses deux mains sur la base de la fenêtre à guillotine que nous découvrons être ouverte. Face à l’ouverture de la fenêtre qui lui arrive au torse, elle prend son élan en pliant un peu les genoux et se projette sans grâce tête la première dans l’ouverture, en poussant un cri étouffé lorsque le bas de son ventre cogne la pièce d’appui et et ses jambes la façade en lattes horizontales. Ses pieds s’agitent, cherchant des appuis, ses mouvements maladroits écrasent la plante tandis que le haut de son corps disparait à l’intérieur de la maison. Elle halète et gémit, son bassin tourne vers la droite, elle plie les genoux et ramène ses pieds chaussés de baskets en toile claire et sale contre son corps, pour enfin réussir à passer l’encadrement de la fenêtre rustique, et se laisse glisser lourdement à l’intérieur.

La jeune femme immobile reprend son souffle, debout près de la fenêtre. Par l’ouverture, nous apercevons une pelouse clôturée derrière laquelle se trouve un champ et les premiers arbres d’une forêt. Elle prend un temps d’arrêt. La maison est parfaitement silencieuse dans la pénombre.
Elle entrouvre doucement une porte intérieure rustique, simple et blanche, est reste un instant immobile sur le bord de celle-ci, une main sur le chambranle, à l’entrée d’une pièce faiblement éclairée. Dans le vaisselier qui jouxte la porte, nous apercevons une cloche à fromage, de grands et lourds saladiers et quelques vases en verre. Elle appelle d’une voix interrogative "John ?" avant de s’engager lentement, dans une pièce profonde dont le seul éclairage provient d’un spot puissant et lointain qui lui fait face. Son regard balaie une lourde table en bois flanquée de plusieurs chaises solides et ouvragées de style campagnard, entourée de murs aux soubassements lambrissés. Devant une des fenêtres à l’anglaise munie de croisillons se trouve un télescope sur pied, plus loin un divan moelleux couvert d’une couverture épaisse à motifs.

La jeune femme s’avance à pas lents, faisant légèrement craquer le plancher. Nous voyons son visage apparaitre dans la découpe de la lumière projetée, celui d’une jeune femme de 25 ans aux longs cheveux blonds, peau blanche et nez fin, le regard scrutant l’obscurité, bouche fermée.

Dépassant le vaisselier et de lourds fauteuils bruns disposés autour d’une table basse, elle marque une courte pause, les bras le long du corps, avance prudemment avant de s’arrêter à nouveau dans l’embrasure d’une porte, balayant la pièce qu’elle découvre du regard.

Elle s’engage maintenant dans la pièce, d’abord à pas lents, avant d’accélérer le pas, dépassant un meuble de style ancien surmonté de multiples piles de livres de toutes tailles, une grande télévision éteinte et plusieurs cadres de peinture moulurés.

Marchant maintenant avec détermination, elle se dirige vers deux portes blanches, l’une à gauche, entrouverte et l’autre à droite, fermée. Sans une hésitation, sa main droite s’avance pour saisir la poignée de la porte fermée tandis que la gauche s’appuie sur elle à hauteur d’épaule. Elle lâche la poignée, visage et corps proches de la porte. Elle appelle à nouveau, plus franchement "John ?", toquant légèrement sur celle-ci. Sa voix est maintenant suppliante et éteinte : "John, please let me in".

Elle frappe du plat de la main droite à hauteur de son épaule "Open de door". Une voix, lointaine, de l’intérieur, lui intime de partir. "Please, i have something that i have to explain".
Avant qu’elle n’aie le temps de finir sa phrase, la porte s’ouvre brusquement, la faisant basculer légèrement en avant. Un homme de 50 ans au visage fermé surgit de l’obscurité de la pièce, les mains déjà sur le cou de la jeune femme, la poussant en arrière tandis qu’elle dit, plus fort "Please". Ses mains sont posées sur les avant-bras de l’homme, qui continue à la pousser en impulsant des mouvements d’avant en arrière jusqu’à ce que le dos de la jeune femme bute contre le meuble surmonté de livres derrière elle.

Alors que ses épaules, sous la pression de l’homme, écrase les piles de livres, elle tousse et halète, la tête en arrière, yeux fermés. L’homme la maintient toujours de ses mains entourant son cou. Les bras de la jeune femme lâchent les poignets de l’homme dans un geste d’abandon. Sa main droite s’écarte, paume en l’air, à hauteur de son épaule, pendant que son bras gauche tombe sans force le long de son corps.

L’homme la surplombe maintenant, les mains formant un cercle complet autour de son cou, le visage contracté et la mâchoire serrée. De petits grognements involontaires s’échappent de sa bouche tordue. La jeune femme, la bouche délicatement entrouverte, ne quitte pas l’homme du regard, silencieuse, la tête secouée par les spasmes des bras qui la jugulent. Après un instant suspendu, elle laisse échapper un râle et déglutit : les mains de l’homme se sont desserrées. Elle respire difficilement une fois, puis deux, yeux fermés. En un seul geste brusque, l’homme relâche sa respiration et se recule. Libérée, la jeune femme laisse sa tête se retomber contre les livres derrière elle, bouche entrouverte. Alors que l’homme a disparu, elle s’effondre dans un souffle, la tête contre le sol, cheveux étalés en pagaille sur un tapis en coco, mains à plat, recroquevillée. Immobile dans cette position, elle tousse puis prend une longue, lente et douloureuse inspiration qui se termine en plainte.