Une backstory, pourquoi et comment faire ?

La backstory est un concept qui a pris de l’importance dans l’écriture de scénario, et comme le character design, elle fait partie désormais des poncifs autour de l’écriture, quelque chose qui fait sérieux, au point de devenir un gimmick qui semble remplacer le travail d’écriture lui-même dans l’imaginaire. On retrouve la backstory en écriture de cinéma, de série, de bande dessinée et dans le jeu vidéo.

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On prendra donc ce concept et ce type d’exercice avec des pincettes, mais il peut être utile si on le pense vraiment comme outil lié à l’écriture, un mémo sur lequel revenir pour arbitrer des choix de comportement, puiser des anecdotes qui peuvent guider des actions, être évoquées par des personnages, ou faire l’objet de souvenirs explicites.

Ecrire une backstory est déjà une mise à l’épreuve de l’écriture du récit, puisque le but est de créer un contexte cohérent avec les intentions et la tonalité de votre récit. C’est en ça qu’il nous intéresse.

La backstory articule événements et caractère

Le caractère fait partie, comme dit ailleurs dans ce site, du moteur interne d’un personnage. Il permet de rendre lisible les actions de celui-ci, et permet des interactions riches avec les autres personnages. Une backstory donne de l’épaisseur au personnage, construisant une généalogie de la sensibilité.

La backstory a pour vue de produire de la causalité entre les événements vécus par le personnage et la construction de son caractère. Le piège de la psychologie facile doit être évité, mais il est évident que la colère, la timidité, l’arrogance, peuvent trouver leur source dans un contexte familial, des rencontres, les milieux fréquentés.
Que votre personnage aime les glaces à la fraise importe peu. Qu’il aie vu toute son enfance ses camarades de classe choyé par leurs parents tandis que les sucreries lui étaient interdites par un père pensant que les tentations sont une pente glissante vers le péché, ou tout simplement par manque de moyens, est beaucoup plus déterminant et riche.
Il faut donc penser à ancrer les comportements par des détails saillants du contexte.

La backstory comporte des événements

Outre le contexte social, culturel, familial - l’habitus au sens Bourdieusien - il est important de décrire des moments clés qui permettent d’identifier facilement le caractère au travail. Si l’origine sociale peut expliquer bien des choses, un personnage peut avoir des particularités en désaccord avec celle-ci. Les accès de colère incontrôlés d’un personnage pourtant aimé et éduqué dans les respect des valeurs démocrates, la boulimie d’un autre dans un milieu qui n’a pourtant pas de rapport particulier à la nourriture, etc. Ces comportements atypiques peuvent se décrire - parfois s’expliquer - à travers des anecdotes précises, liées au hasard des rencontres ou des circonstances. Les décrire donne un accès précis aux futurs comportements, autant qu’il seront intéressant à évoquer par le personnage ou son entourage.

La backstory offre un spectre plausible aux actions du personnage

Un personnage est soudain capable de marcher sur un fil de funambule entre deux building. Un autre peut préparer à la perfection un sabayon, alors que nous somme en 2050 sur Mars. Un autre encore saute sur un moto de plus de 1000CC, la démarre et s’enfuit sur une roue. Autant d’éléments incompréhensibles et douteux, qui nous projettent hors du récit s’ils sont mal préparés. Ils sont souvent le fruit d’un mauvais travail de préparation, et nous révèlent souvent le manque de connaissance du milieu décrit par l’auteur du récit.
A contrario de ces erreurs, on veillera à la cohérence du personnage avec le contexte du récit, ainsi que les moyens par lesquels il dispose d’aptitudes spécifiques nécessaire au récit. La backstory sert à préparer la fluidité de ces aspects.
Dans Il était une fois la révolution, nous avons accès en cours de récit au passé de John H. Mallory, que nous découvrons révolutionnaire et amer, trahi par un ami, ayant fui l’Irlande. Ces deux éléments de backstory nous donnent de bonnes raisons de croire qu’il s’y connait en explosif, se retrouve à errer dans le désert américain, et est prêt à aider Juan Miranda, une petite frappe désireux de prendre une revanche sociale.

La backstory est comportementale

Tant que faire se peux, on décrit des actions précises. Plutôt que "Elle a toujours été timide", décrire une action saillante et caractérisante : "En cinquième, le jour o๠elle devait lire Le corbeau et le renard, on la chercha une heure avant de la trouver terrée dans les toilettes". Cela crée une situation ré-exploitable (la lecture d’un rapport d’audit sera probablement une épreuve), même si elle a fait l’objet d’une transformation ensuite (jeune adulte, le personnage rejoint un groupe de Femen par conviction politique et surmonte avec enthousiasme son inhibition par exemple, ce qui n’empêche pas un retour du monstre de la timidité dans certaines circonstances exploitables dans l’écriture).
Dans Bienvenue à Gattaca, un flash-back raconte comment le protagoniste perd systématiquement un concours avec son frère, plus fort que lui physiquement, avant de le battre au cours d’une nuit marquante. Ce souvenir est lié à la caractérisation, et lié à la ligne thématique.

La backstory donne des indications des relations

Le type de relation que peuvent nouer entre eux des personnages peut être décidée par la backstory. C’est un moyen puissant pour guider l’écriture des dialogue avec une belle économie. Deux amis de longue date qui se sont épaulés à plusieurs moments de leur vie, les retrouvailles avec un membre de la famille qui s’est toujours montré méprisant, un coup de fil d’un.e ex toxique auront des tonalités différentes suivant le contexte exact qu’on aura donné à ces relations.
Dans Le fils de l’homme (analysé ici) : la relation de couple du protagoniste, et les raisons de leur séparation, sont évoqués au cours du récit, et sont signifiants non seulement pour la caractérisation des personnages et la qualité des dialogue, mais s’articulent avec la ligne thématique du récit.

La backstory n’est pas hyperbolique mais ciblée

Il n’est pas nécessaire de raconter toute la vie d’un personnage sur trois générations si ça n’a aucune application dans le récit à écrire. La nécessité de développer un personnage peut se faire sentir chemin faisant, lorsque des décisions sont à prendre sur le comportement du personnage ou le lieu ou ancrer le récit. Prendre le bus, un taxi, sa voiture ou rentrer à pied ? Le réflexe de votre personnage, les moyens dont iel dispose peuvent soudain demander du background, et c’est l’occasion de réfléchir à cet aspect. On peut ensuite affiner psychologiquement : plusieurs personnages disposant des mêmes moyens matériels peuvent avoir une attitude radicalement différente face à la nécessité de rentrer à la maison en pleine nuit : appeler un taxi, attendre le premier bus, téléphoner aux parents, marcher, etc. C’est là que la backstory peut donner des indices psychologiques et environnementaux utiles.

Une backstory se modifie au cours de l’écriture

Si la backstory a pour but de produire de la cohérence, d’avoir une image mentale claire du personnage à déployer, il arrive évidemment qu’en cours d’écriture elle s’avère trop étriquée, trop caricaturale, mal adaptée à l’action à déployer, ou encore trop éloignée ou trop proche d’autres personnages. Il faut dans ce cas y revenir pour la modifier. Attention, il est aussi nécessaire par conséquent de réévaluer les actions et dialogues pour vérifier leur conformité du récit.

Une backstory ne se livre pas d’un bloc en cours de narration

La tentation de raconter des pans entiers de la backstory au cours de l’écriture du récit peut être grande. Après tout, si on s’est démené pour l’écrire, pourquoi ne pas la balancer. C’est la plupart du temps inutile, et il est de toutes façons préférable de distiller l’information au cours du récit, en préparant ses effets, pour donner au récepteur du récit de quoi anticiper, sans l’assommer d’information inutiles ou trop évidentes.