Une histoire complète, partie 2 : préparation et exploitation

La préparation et l’exploitation sont deux symétriques, aussi nécessaires à la dramaturgie que l’admission et l’échappement pour le moteur à explosion. Voici un exercice pour en creuser un peu plus les mécanismes.

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La préparation consiste à injecter un élément dans la chaîne du récit, destiné à produire des effets dans la suite des événements. On parle donc de préparation ET d’exploitation, décrits par Aristote au travers de ses deux concepts du "vraisemblable" (événement plausible au vu des événements) et du "nécessaire" (conséquence logique des événements précédents).
Il s’agit donc de créer pour le récepteur du récit le sentiment d’une forme d’évidence, ou en tous le cas de lui éviter le sentiment de l’invraisemblable. Ceci est rendu possible par un ensemble de mécaniques :
 Le caractère des personnages, s’il est correctement exposé, permet de rendre vraisemblable les agissements. Par exemple, l’avide continue de charger ses poches de lingots d’or alors que le bateau coule.
 Les situations mise en place permettent de rendre crédibles les actions les plus folles : traverse la ville en montant en voiture sur les trottoirs pour déclarer sa flemme à un personnage qui va prendre l’avion est possible dans un contexte par la prise de décision de ne plus se laisser faire par le destin.
 La description du monde et ses spécificités correctement communiquée permettent des excentricités : une machine à remonter le temps, un mur invisible entourant un village sont possible via une mise en place brutale ou habile.
 Le style et le genre d’une narration rend des actions acceptables : se mettre à chanter et danser avec ses voisins dans la foule est possible dans une comédie musicale, un cadavre peut poursuivre un couple dans un film horrifique, etc.
 Le medium utilisé donne un registre spécifique aux actions : un personnage de Tex Avery peut courir dans le vide et ne tomber que lorsque qu’il s’aperçoit de l’absence de sol.

Au centre de la préparation, il y a un principe d’économie cependant. Un minimum de moyen pour un maximum d’effet : si la causalité met la mécanique au centre de la dramaturgie concentrée, cet exercice impose l’économie comme principe directeur.

Pour continuer le travail entamé il y a une semaine, nous allons porter notre attention sur ces aspects.

nous travaillerons aussi cette mécanique de la préparation-exploitation à travers un autre concept phare de l’écriture de scénario : le milking. Ce terme barbare se traduit en français par "la traite" (du lait). Le milking s’attache à réduire - parfois volontairement -, le nombre d’éléments présents dans une narration, et à les réemployer le plus souvent possible, dans toutes les variations qu’ils offrent.
Cette économie a des raisons pragmatiques (il est moins onéreux de tourner dans peu de lieux de tournage, de payer moins d’acteurs, ou de dessiner un même décor) mais elle a aussi des raisons liée à l’efficacité dramaturgique. Il est en effet plus payant d’avoir en face de soi le type qui vous a particulièrement causé du tort à la fin d’une bagarre, plutôt qu’un autre type que vous voyez pour la première fois. De même, il est plus fort émotionnellement qu’un couple se sépare là où il s’est précisément formé.

A propos de ces mécaniques narratives, voir l’article sur ce même site sur ces concepts.

Objectif

Identifier ou injecter dans le récit entamé dans la partie 1 de l’exercice des motifs et éléments récurrents. Intensifier leur présence et signification dans le récit à construire.

Contraintes

Personnages
Reprenez la caractérisation de votre personnage. Créez une scène à placer dans le moment de l’exposition, dans laquelle le caractère est palpable. La situation doit être propice à voir le caractère au travail. Si on lui demande l’heure dans la rue, il est probable qu’un colérique donnera l’heure, ce n’est donc pas une situation caractérisante.
Réfléchissez à la trajectoire du récit. Est-ce que le caractère du personnage va être une aide ou un obstacle dans celle-ci ? Créez une scène à placer dans la progression dramatique (le centre du récit) qui la met en jeu. Cette scène peut être une réécriture d’une scène existante en intégrant de manière plus efficace la caractérisation.
Enfin, voyez comment faire retour de cette caractérisation dans la résolution. Est-ce que les épreuves ont modifié votre personnage ? Que la réponse soit positive ou négative, voyez comment en placer un indice.

Objets
Prenez un de vos objets et mettez-le en jeu dans l’exposition, au cours d’une scène. Est-il un accessoire du décor, un objet manipulé, évoqué, central ? A vous de voir.
Réutilisez-le ensuite deux fois dans la progression dramatique, de manière différente.
Il s’agit de varier l’usage : simple décor, symbole d’une relation, preuve, outil lors d’un conflit (de manière physique ou imagée), cité dans un dialogue, représenté dans un dessin ou une peinture, apparaissant dans un rêve, les possibilités sont nombreuses, saisissez-les.

Économie des lieux
Repassez en revue les lieux que vous avez choisi : il s’agira de les utiliser au maximum lors de l’écriture de scènes. A chaque fois que la question "où ça se passe" se pose, tentez de ramener à vos trois lieux choisis. Il vont gagner en symboliques au fur et à mesure du réemploi, à vous de jouer et de déjouer celles-ci.

L’une des exploitations évidentes de la préparation et de l’exploitation sera le rôle donné à vos adjuvants ou d’opposants dans situations de conflit. Variez les actes avec des trahisons ou conversions par exemple, mais d’autres rôles moins directs peuvent être trouvés. Revenez sur le motif, regardez vos images et caractères dans leur polysémie : c’est dans la qualité des images que se trouve souvent les idées. Si un élément est une rivière, on peut y boire et être malade, ou embrasser l’être aimé assis à son bord, la traverser pour échapper à un poursuivant, y nager avec plaisir, ou s’y noyer, etc.

La richesse de ces deux éléments viendront de la diversité de leur exploitation.

Vous allez avoir probablement trop de scène par rapport à votre récit. Il est donc probable que dans les prochaines semaines des scènes disparaissent de votre "scénario", mais accumulez les scènes à ce stade, le tri pourra se faire plus tard, par fusion des scènes par exemple.

Attention
Les scènes sont écrites au présent, de manière courte, descriptive, comportementale. Nommez les éléments dans les scènes : ne dites pas "il tombe" mais "Jean-François tombe", "il pleut" mais "il bruine sur la forêt". Saisissez chaque mot, dans l’écriture comme l’occasion de communiquer une information qualitative.

Deux images

Pour commencer à donner un peu de corps à ce récit, il vous est demandé d’élaborer deux images (ou plan, photo, description sonore) contenant chacune au moins un lieu et un objet. Chaque image fait partie d’une scène précise de votre step outline.

Exemples potentiels montrés

Un montage de scènes de Truman show de Peter Weir, 1998.
Une séquence d’images du Mystère du lapin-Garou, Aardman Animations, 2005
Un extrait du livre L’ombre de la nuit de Jordan Crane
Un extrait de Charles de Alessandro Tota
The Crimson Permanent Assurance des Monty Python, 1983
La scène des menottes dans Who framed Roger Rabbit.

Résultat obtenu en fin de séance

Un scénario retravaillé, deux images ou équivalent.