Qualité et diffusion

Nous avons traversé au pas de course plusieurs concepts de dramaturgie. Nous avons défini une dramaturgie que nous appelons “concentrée”, dont Hollywood est friande, qui se présente comme un système clos (virtuellement compréhensible en lui-même) construit autour de personnages (humains ou non humains) au caractère identifiable, trouvant leur place dans un schéma de relations, arrangés dans une structure en trois actes (avec des variantes) traversant quelques passages obligés vers une résolution.

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Narration concentrée, narration diffuse

Cette structure en muscle (mais aussi en cerveau) est rassurante et efficace, mais elle peut aussi être ennuyante car balisée, donc prévisible. Par ailleurs, pour des raisons de goût mais aussi de politique, il est important d’ouvrir le champ de la narration à d’autres récits, que nous appelons “diffus” dans lesquels la structure dramaturgique se voit affaiblie par des attaques sur ses fondements.
En effet, que devient une narration si ses personnages deviennent inidentifiables dans leurs actions ? Si leur rôle dans le récit est absent ou flottant ? Si la chaine de causalité est brisée pour disposer des moments côte à côte, reliés par des analogies, des métaphores, des sensations ? S’il manque une exposition, un climax, une résolution, si tout se déroule sans conflit ou sans résolution ?

Nous avons tous été touché.es par des récits qui contreviennent aux règles canoniques de la dramaturgie, mais nous parions qu’il n’existe pas de récits sans la moindre trace de dramaturgie, qui est une forme d’organisation de la durée.
De plus, au potentiel ennui des récits “classiques” on trouvera symétriquement l’ennui des récits “modernes”, qui ont aussi leurs gimmicks et leurs ficelles.
En effet, longueurs et répétitions, emphases et textes décorrélés du récit, refus de cohérence et défauts d’exploitation affichés sont entrés dans les clichés de la narration tout autant que les méchants au rire diabolique ou les aveux sous la pluie.

Pour organiser de la durée en abandonnant une partie des outils de la dramaturgie, il faut donc de l’inventivité, injecter ce que nous nommons dans ce cours “la qualité”. Qu’est-ce que la qualité ? Personne ne le sait, et c’est ce qui nourrit le plaisir renouvelé de se raconter des histoires, et la possibilité pour chacun d’ajouter son propre récit au monde.
Ce peut être la beauté du dessin, la finesse d’un personnage, la poésie d’un dialogue, un motif récurrent qui se transforme sans cesse dans sa signification, le rapport à une actualité récente ou l’ancrage fort d’une situation, le contraste entre fond et forme, la texture d’un papier, la création d’un contexte de réception spécifique, etc.

Nous allons donc dans le temps qu’il nous reste nous essayer d’activer cette inventivité en nous appuyant sur quelques méthodes - car il y en a, là aussi - pour générer de la diffusion.

Exercice en 4 séances

Travailler de manière ouverte un récit, faire appel à la fois à de la structure et à un travail sur des intuitions.

Cours 1 - générer une situation

prendre trois images provenant de la boite à image. A partir des éléments qui y sont contenus, créez une situation, c’est-à-dire une image contenant suffisamment d’éléments pour permettre une interprétation. Cela peut passer par le placement dans l’espace d’objets, par la posture de personnages, de jeu de regard.
Cette image peut être dessinée, montée sur ordinateur ou sur papier, être une photographie, mais au final être une image duplicable.
Pour le cours suivant, en avoir une version entrant dans un format 13 X 18 cm et une version digitale (scan de préférence, sinon photo un peu correcte).
Quelques images sont projetées et analysées en fin de cours.

Cours 2 - créer des bribes de récit sous forme de strip, ou de micro-scènes

Les images réalisées au cours précédent sont affichées sur un mur. Chacun choisit 6 images dans le corpus. Ce sera la base d’une série de strips, chacun évoquant un échange, une bribe de narration. 10 strips sont réalisés durant la séance.
Quelques série de strips sont montrés en fin de matinée et en fin de journée.

Une machine à fabriquer des strips à partir de vos images a été installée sur ce site.
Placez-y vos images et testez éventuellement quelques strips. On fera une démo, et on parlera narration en strip.

Pour aller plus loin, deux articles sur le strip et son fonctionnement :
Le strip comix, une introduction
Le comic strip, mécanique et ressorts

Cours 3 - développer deux à trois moments

Choisir 2 à 3 strips réalisés pour leur qualités narratives. Ils ne doivent pas clôturer une histoire au sens complet et fermé, mais “fonctionner” ensemble. Les reprendre et trouver une forme pour en faire un “objet” : micro-récit en illustration, en bande dessinée, diaporama avec son, vidéo.
Ces trois moments ne doivent pas correspondre à une structure classique (exposition-conflit-résolution) mais on aura une attention à la générosité de l’accès : qu’est-ce quelqu’un découvrant le travail voit ? Quels éléments peuvent l’aiguiller pour accéder au contenu ? Quelle qualité se dégage ?
A ce stade, le médium est libre : image, image animée, son. On évitera le texte seul, l’école est une école de recherche graphique, après tout.

Cours 4 - finaliser le récit

Une séance de finalisation avec quelques présentations en cours de séance.

Références potentiellement montrées

Tout au long de l’exercice, des références seront présentées comme autant d’exemples d’alternatives à la structuration "concentrée" des récits.
La structure dramaturgique chez Hayao Miyazaki (studios Ghibli) et chez Apitchatpong Weerasethakul
L’année de la comète de Clément Vuillier
Le corps des paysagistes de guerre de Videoconférence
Le goût de la nectarine de Lee Lai
Acte de Dieu de Giacommo Nanni
Sur la piste de Henry McCausland
Connard de Stéphane A.M.
Les mousquetaires de la résurrection de Pierre La Police
Le clou de Monsieur Delmotte